Une semaine après son investiture, le nouveau président américain démocrate Joe Biden relance le projet entamé par Barack Obama en 2016, puis rejeté par Donald Trump : donner à Harriet Tubman la place qu’elle mérite sur les billets de 20 $ américains.

Pourquoi ce changement, prévu depuis sept ans maintenant, n’a toujours pas abouti ? Quels sont les enjeux derrière la volonté de remplacer Andrew Jackson, toujours représenté sur le billet de 20 $ américain, par Harriet Tubman ?

Tandis qu’Andrew Jackson, septième président des États-Unis était lui-même esclavagiste et n’a pas hésité à déposséder les Indiens de leurs terres, Harriet Tubman, elle, s’est battue contre l’esclavage et pour les droits des femmes. Ce contraste met d’ores et déjà en lumière le fossé qui les sépare.

Née en 1822 de parents esclaves, le destin d’Harriet Tubman semblait tout tracé : travailler dans les champs de coton, avec ses neuf frères et sœurs. Et de fait, elle a connu le travail forcé et les violences, de sa naissance jusqu’en 1849. Pourtant, à l’âge de 27 ans, sa personnalité combattante se révèle et la pousse à fuir le sud esclavagiste pour la Pennsylvanie. Ce combat n’était pas seulement motivé par le sauvetage de sa propre personne, mais bien par la liberté de toute une communauté. Voilà une des raisons pour lesquelles Joe Biden entend lui rendre hommage. Une fois enfuie, elle participe au sauvetage d’autres esclaves, grâce au réseau clandestin établi dans les États non-esclavagistes du nord. Alors, Harriet n’est-elle pas, elle aussi, une self-made-woman ? Ou bien ce titre glorifiant est-il réservé aux hommes ?

La monnaie figure parmi les emblèmes d’un pays et participe à représenter l’identité nationale. Selon Donald Trump, admirateur d’Andrew Jackson, qui n’est autre qu’un des Pères Fondateurs des État-Unis, hors de question de céder la place à une autre figure, encore moins une femme, et si elle est noire, n’en parlons pas. Pourtant, selon Barack Obama, l’année 2020 qui fêtait les 100 ans du droit de vote des femmes américaines était l’année idéale pour un tel changement.

Joe Biden s’aligne avec Obama et prend le contre-pied de son prédécesseur en rappelant et en proclamant l’importance de rendre hommage à une femme afro-américaine, et de mettre à l’honneur la démocratie. Faire de l’abolitionniste Harriet Tubman une figure nationale, c’est reconnaître son combat acharné contre l’esclavage et sa lutte pour le droit des femmes. Plus que le reconnaître, c’est représenter un combat qui, aujourd’hui encore, continue d’être mené aux États-Unis: le combat pour l’égalité entre les Hommes noirs et les Hommes blancs. 

Donner sa place à Harriet Tubman, c’est remettre en cause la hiérarchie qui veut que les hommes politiques blancs méritent leur place plus que quiconque. Si la monnaie représente l’identité nationale, le visage des États-Unis peut-il vraiment se résumer à celui d’Andrew Jackson ? Ne devrait-il pas rappeler les origines du pays ? Ses batailles ? Biden semble vouloir nous faire comprendre que les États-Unis ne peuvent pas prétendre être un pays libre, en faveur de l’égalité et de la justice, alors même que l’unité n’est pas représentée. Reconnaître Harriet Tubman comme une figure historique, c’est affirmer que la diversité inhérente aux États-Unis ne doit pas être un frein à l’identité nationale, ni à la démocratie, bien au contraire.

Ce changement représentera un tournant historique et la volonté d’arrêter de nier le passé américain, et les faits présents. Il semble que cette démarche soit indispensable pour envisager un futur meilleur. 

Aussi, en plus de l’égalité entre noirs et blancs, c’est l’égalité entre hommes et femmes qui est en jeu. Ce nouveau billet entend dire stop à l’exclusion du sexe féminin. Car cela fait maintenant plus d’un siècle que des femmes emblématiques comme Martha Washington et Lucy Pickens ont été retirées des billets pour redonner leur place à ces hommes dont on n’ose contester la légitimité. Nous pouvons également mentionner Azie Taylor Morton, la seule femme ayant occupé le poste de trésorière des États-Unis. Elle a bénéficié d’un moment de reconnaissance, de 1977 à 1981, lorsque sa signature figurait sur certains billets. Courte période pourtant, par rapport à Andrew Jackson qui n’a pas bougé du billet de 20 $ depuis 1928. Enfin, quatre afro-américains Blanche K. Bruce, Judson W. Lyons, William T. Vernon, et James C. Napier ont eux aussi eu le droit de recevoir un tant soit peu de gratitude, en voyant leur signature figurer sur des billets pendant leur mandat en tant que chef de registre du Trésor. Pourtant, peu le savent. Et pour cause, elles ont disparu, elles aussi, une fois leur mandat terminé. 

Alors, ce projet que Donald Trump considérait comme dérisoire, avec le soutien du secrétaire au Trésor Steven Mnuchin, recouvre en fait deux problématiques bel et bien primordiales.

Certes, Joe Biden le sait, créer de nouveaux modèles de billets, cela prend du temps. Toutefois, hors de question de se réfugier derrière cette excuse futile lorsqu’un combat crucial repose sur ce projet. Non, ils ne seront pas imprimés dès demain, mais dès que possible ils verront le jour. Et pour aller plus loin, les suffragettes Lucretia Mott, Sojourner Truth, Susan B. Anthony, Elizabeth Cady Stanton et Alice Paul auront elles aussi leur place au dos du billet de 10 $. Deux autres représentants des droits civiques, Dr. Martin Luther King Jr. et Marian Anderson seront eux aussi adossés au billet de 5 $. Ainsi, le nouveau président américain entend rappeler à tous ses citoyens, dès qu’ils ouvrent leur portefeuille, quelles sont les valeurs des États-Unis et à quel point il est indispensable de les défendre pour les préserver.

sources: bbc.com politico.com numismag.com

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