Les belligérants du Yémen ont ouvert en janvier un nouveau front dans le conflit qui dure depuis cinq ans. Il s’agit d’une bataille sur le sujet des anciens et des nouveaux billets de banque qui menace de créer deux économies dans le même État.

Le 18 janvier, à partir de minuit, les Houthis qui contrôlent la capitale Sanaa avaient interdit l’utilisation et la possession de nouveaux billets de riyal yéménite émis par leurs rivaux du gouvernement internationalement reconnu basé dans la ville portuaire d’Aden, dans le sud du pays.

Les Houthis, alliés de l’Iran qui disent que la population ne devrait utiliser que les anciens billets, ont maintenu que l’interdiction était une mesure de protection contre l’inflation et contre ce qu’ils appellent l’impression incontrôlée de monnaies par le gouvernement.

Le gouvernement a qualifié l’interdiction d’acte de vandalisme économique. Et la population, comme toujours, a été laissée dans le feu croisé.

Les Yéménites des deux camps ont déclaré à Reuters que l’interdiction avait effectivement créé deux monnaies aux valeurs divergentes, ajoutant des problèmes dans un État qui a déjà deux gouvernements et gangrené par la guerre.

Au cours du mois qui a précédé l’interdiction, les habitants des zones contrôlées par les Houthis ont fait la queue pour essayer d’échanger leurs nouveaux billets de riyal contre les anciens, transformant ainsi les vieux billets sales et déchirés en une denrée précieuse et relativement rare.

Un dollar américain valait environ 560 riyals dans tout le Yémen avant que l’interdiction ne soit annoncée à la mi-décembre. Depuis, la monnaie a légèrement perdu de la valeur dans les zones contrôlées par les Houthis, pour atteindre environ 582 riyals pour un dollar. Elle a encore baissé à 642 dans le Sud, une zone qui est maintenant inondée de nouveaux billets.

Cette baisse relative pourrait sembler être une aubaine pour les habitants du Nord, si seulement ils pouvaient se procurer suffisamment de vieux billets à temps pour se maintenir à flot dans une économie essentiellement basée sur l’argent liquide.

« Nous allons à la banque et ils refusent d’échanger les nouveaux billets. Ou bien, ils disent qu’il leur faut trois, quatre ou cinq jours », avait déclaré l’artisan Abdullah Saleh al-Dahmasi à Reuters dans une rue de Sanaa une semaine avant l’entrée en vigueur de l’interdiction.

« Le nouveau n’est pas accepté et l’ancien est usé, ils doivent trouver une solution », a déclaré le jeune homme de 27 ans.

Quelques jours avant l’entrée en vigueur de l’interdiction, une bourse d’échange a refusé de prendre les nouveaux billets d’une vingtaine d’hommes et de femmes en colère, sous le prétexte qu’ils ont rempli leur quota pour la journée. Beaucoup y venaient depuis trois jours dans l’espoir d’échanger leur argent.

Le commerce nord-sud est devenu beaucoup plus cher, car les commerçants doivent acheter et vendre deux types de riyals qui se différencient par l’état du billet, la taille et les dessins qui y figurent.

De nombreuses personnes à Sanaa ont déclaré à Reuters qu’elles pensaient que l’interdiction était nécessaire pour limiter l’inflation. Mais ils étaient confrontés à des difficultés à court terme.

« Lorsque les gens ont vu cette monnaie entrer en circulation, ils l’ont adoptée, car elle était nouvelle et brillante. Mais maintenant, ils ont des problèmes », a déclaré Abdallah Bashiri, un travailleur de 28 ans du secteur privé à Sanaa.

Dans cette ville, les bourses légales permettront d’échanger 100 000 riyals yéménites (environ 172 dollars) en nouveaux billets contre de la monnaie électronique pouvant être utilisée pour divers paiements comme le crédit téléphonique ou les factures d’électricité, pour des frais modiques d’environ 1,50 dollar.

Cependant, les choses deviennent plus difficiles lorsqu’il s’agit de billets qui peuvent être dépensés sur les marchés alimentaires. Les habitants de Sanaa ont déclaré que des bourses non officielles proposent d’échanger 100 000 riyals de nouveaux billets en 90 000 à 96 000 riyals de vieux billets plus rares.

Depuis que les rebelles Houthis ont pris d’assaut la capitale Sanaa en 2014 et évincé le gouvernement du président Abd Rabbu Mansour Hadi, la banque centrale du Yémen s’est scindée en deux branches : une à Sanaa, sous contrôle des Houthis, et une autre reconnue internationalement à Aden, et qui peut imprimer de la monnaie.

Les autorités d’Aden ont défendu leur décision d’imprimer de nouveaux billets à partir de 2017, affirmant qu’il s’agissait d’une tentative de faire face à une crise de liquidités dans le secteur du bâtiment et de payer les salaires du secteur public.

« Les Houthis… n’ont pas pris en compte le coût économique de la crise sur la société », a déclaré Yousef Saeed Ahmad, conseiller du gouverneur de la banque centrale d’Aden, à Reuters en janvier.

« Nous espérons que les mesures prises sont à court terme. Ils ne peuvent pas perdurer, car on a une seule économie, elle est interconnectée et les marchandises circulent de Sanaa à Aden et vice versa. Cette mesure détériore davantage les conditions de vie de tous les Yéménites », a-t-il déclaré.

La répression des nouveaux billets de banque signifie que de nombreux employés du secteur public, dans les régions contrôlées pars les Houthi, ont cessé de recevoir des salaires du gouvernement d’Aden. La reprise du versement de ces salaires à travers les zones de conflit avait été une étape bipartite clé pour alléger la crise humanitaire du Yémen.

Les Houthis considèrent leur interdiction comme un moyen de défendre la valeur de l’ancienne monnaie.

« La banque centrale de Sanaa a dû prendre des mesures pour endiguer les pratiques dangereuses que la banque centrale d’Aden mettait en œuvre à travers sa politique monétaire », a déclaré Sami al-Siyaghi, responsable des opérations bancaires à l’étranger à la banque centrale de Sanaa.

« L’imposition de la politique monétaire (d’Aden) a entraîné l’effondrement de la monnaie nationale par rapport aux devises étrangères… À chaque nouvelle émission, vous remarquez un effondrement proportionnel du riyal par rapport aux devises étrangères », a déclaré M. Siyashi à Reuters.


Cet article a été initialement publié sur Reuters. Découvrez les billets du Yémen sur Numiscollection.